martes, 21 de marzo de 2017

Spinoza : le point de vue d’un Dieu athée


(Conférence du 21 mars 2017 devant le Cercle Richelieu, à Bruxelles)

Pour justifier mon titre, je me permettrai de commencer mon intervention par la lecture d’un fragment d’un poème de Voltaire qui a pour titre « Les systèmes » :

« Alors un petit Juif, au long nez, au teint blême,
Pauvre, mais satisfait, pensif et retiré,
Esprit subtil et creux, moins lu que célébré,
Caché sous le manteau de Descartes, son maître,
Marchant à pas comptés, s’approcha du grand Être :
« Pardonnez-moi, dit-il en lui parlant tout bas,
Mais je pense, entre nous, que vous n’existez pas.
Je crois l’avoir prouvé par mes mathématiques. »

1. Introduction : une philosophie matérialiste est une philosophie de la traduction

L’ironie suprême de Voltaire a bien saisi le scandale de ce philosophe insolent, « moins lu que célébré » que fut Baruch Spinoza. Baruch qui fut aussi Benedictus ou Bento, Benito ou Benoît, son prénom hébraïque se traduisant dans les langues classiques ou modernes de l’Europe. Le spinozisme est une philosophie de la traduction radicale placée sous le signe de la conjonction explicative latine « sive » : « c’est à dire ». Benedictus, sive Baruch, ou Deus sive Natura. Or, rien de moins innocent que les traductions que nous propose Spinoza, puisque, comme le montre Voltaire avec humour, l’existence de Dieu peut, par exemple, se traduire en son inexistence.

Ce geste philosophique de la traduction radicale est aussi un geste matérialiste : le refus de reconnaître une solidarité d’essence entre le mot, l’idée et la chose. Une idée d’une chose n’est pas une chose : comme Spinoza le dira dans son Traité de la réforme de l’entendement, « l’idée du cercle n’est pas circulaire » ou « l’idée du chien n’aboie pas ». Ce n’est que cette distance de la chose à son idée qui permet également de penser la distance entre le mot et la chose, qui est la condition indispensable de toute traduction. Si le mot collait à la chose, parce que l’idée que le mot exprime communierait lui-même en essence avec la réalité de la chose, les hommes vivraient leurs langues et leur cultures comme des vases clos. La philosophie de Spinoza est, entre autres choses, une pensée de l’ouvert et du traduisible, une pensée du commun des hommes.

Il s’agit bien d’un matérialisme. Ni Kant ni Fichte ne se sont trompés sur le compte de Spinoza : ils y ont reconnu l’opposé de tout idéalisme possible, un matérialisme transcendantal. Si l’idéalisme affirme que le Moi est originaire et le Non-moi est dérivé, le matérialisme sera la thèse contraire, celle qui fait du sujet, non une origine mais un effet. Spinoza est sans doute le grand penseur de référence du matérialisme moderne dans la tradition européenne. Il est à ce titre un penseur étonnant, que le philosophe marxiste Antonio Negri qualifie d’ « Anomalia selvaggia » et dont Louis Althusser, un des grands responsables du renouveau spinoziste des années 70 en France, a dit que sa philosophie était « la plus grande révolution philosophique de tous les temps ». Ce caractère extraordinaire de sa philosophie ne tient pas à la nouveauté de son vocabulaire qui est celui de la philosophie et de la théologie scolastique et cartésienne, mais à la re-signification qu’il opère sur les principaux termes de cette tradition philosophique, celui de Dieu, bien sûr, y compris. D’autre part, contrairement à la plupart des penseurs matérialistes qui sont souvent des immoralistes ou des libertins, Spinoza se pose en priorité un problème que ceux-ci délaissent : celui de la bonne vie et du salut.



2. L’anomalie Spinoza : coordonnées historiques et biographiques

Quel est donc cet étrange personnage qui a été à la fois abhorré comme un monstre et présenté comme un modèle de sagesse ? Cet « athée de système » comme l’appelle Pierre Bayle, qui est aussi un « athée vertueux » comme le reconnaît son biographe, le pasteur Colerus ? Une gravure d’époque présente son portrait avec la légende « Iudaeus et atheista », joignant ainsi l’anti-religion à une dénomination confessionnelle. Une autre gravure nous le montre sous les traits d’un révolutionnaire populaire, ce Massaniello, pécheur du port de Naples qui avait pris la tête d’ une révolte populaire contre le gouverneur espagnol. Juif il l’était de son origine, ce Baruch Spinoza ou Despinoza. Un juif qui appartenait à une communauté singulière dont il convient de dire quelques mots. Spinoza est d’abord, par son origine, un Sépharade, un Juif d’Espagne ou du Portugal, appartenant donc à cette culture juive particulière qui s’était développée dans la péninsule ibérique dès l’Antiquité, puis traversa les siècles de l’Espagne wisigothe, puis musulmane, pour arriver à cette Espagne « des trois cultures » dont les symboles sont la ville de Tolède et le roi Alphonse X de Castille. Ce judaïsme a donné à la culture juive un grand philosophe et théologien comme Maïmonide, le Saint Thomas d’Aquin de la religion israélite, ou ce grand matérialiste « aristotélicien de gauche » -selon Ernst Bloch- que fut Ibn Gabirol, Avicébron pour les Latins, ou plus tard, ce grand penseur et poète néoplatonicien de la Renaissance que fut Léon Hébreu, l’auteur des Dialogues d’amour sans parler des Kabbalistes que Spinoza appréciait peu, mais qui eurent un grand rôle dans la culture européenne. Malheureusement cette culture judéo-hispanique de très longue tradition fut brisée par la création par les Rois Catholiques d’un État moderne qui, dans un souci de contrôle des esprits, fit de la religion catholique la seule acceptée et aboutit, en 1492, l’année de la découverte de l’Amérique, à l’expulsion des Juifs du royaume d’Espagne.

Beaucoup se retrouvèrent dans l’autre rive de la Méditerranée, au Maroc ou dans d’autres régions du Maghreb, ou bien dans les domaines du Grand Turc. D’autres s’installèrent au Portugal où le roi leur accorda une tolérance intéressée, mais furent contraints postérieurement à se convertir au catholicisme par la contrainte. Beaucoup de ces nouveaux convertis, ne pouvant tolérer la violence faite a leur conscience quittèrent le Portugal pour les Pays-Bas. Ils y furent accueillis, mais non sans conditions. Un décret des autorités de Hollande, inspiré par un avis juridique (remonstratie) de Hugo Grotius admis les Juifs à condition qu’ils se constituent formellement en communauté religieuse israélite, suivant la règle générale d’une société structurée par le principe des piliers (verzuiling). Cette normalisation religieuse de la communauté juive ibérique ne fut pas tache facile. La plupart de ces Juifs avaient vécu extérieurement en chrétiens en Espagne et au Portugal et ignoraient tout du dogme israélite. Ils durent donc, très vite, se constituer en communauté religieuse, alors que l’identité de beaucoup d’entre eux était demeurée ambiguë, puisque de longues années de simulation de la foi chrétienne les avait éloignés du judaïsme sans pourtant les approcher intimement de la nouvelle foi imposée. Certaines de ces consciences déchirées virèrent même ver le libertinisme, à l’instar de ces cas célèbres qui furent celui du docteur Juan de Prado ou de ce personnage tragique que fut Uriel da Costa, contraint au suicide face au choix entre sa conscience personnelle de dissident matérialiste juif et une appartenance communautaire qui l’obligeait à embrasser le dogme rabbinique, sous peine de ne plus avoir de moyens de subsistance ni la moindre chance de se marier.

Le jeune Baruch était né dans une famille aisée de petits commerçants qui importaient agrumes et fruits secs de la péninsule. Il vivait à quelques pas de la maison de Rembrandt dans un quartier qui n’était pas uniformément juif du centre d’Amsterdam. Il reçut une formation religieuse dans l’école rabbinique et fut très apprécié de ses maîtres pour son talent dans l’interprétation de l’Écriture, mais il était, en même temps, déjà en contact avec des dissidents religieux juifs et chrétiens dont il s’était approprié certaines thèses. C’est ainsi qu’un rapport d’agents secrets de l’Inquisition venus enquêter sur les hérétiques d’Amsterdam fit état d’un « fulano de Spinoza », Untel Spinoza qui dit que « Dieu n’existe que philosophalement. » Il connut ainsi un détachement progressif de la foi religieuse représenté par l’image du jeune Spinoza affichant à la synagogue un petit sourire philosophique pendant les offices. Il faut ajouter à cela qu’il se donna une formation européenne en apprenant le latin et la philosophie cartésienne chez l’ex-jésuite Franciscus Van den Enden. Ces différents éléments de crise mûrirent pour précipiter, près la mort de son père, Miguel, l’éloignement définitif de Bento de la synagogue, qui, du côté des autorités fut marqué par son excommunication solennelle (herem), assortie de toutes les menaces et malédictions du rituel.

Expulsé de la communauté religieuse juive, Spinoza se trouvait en marge d’une société organisée sur la base des piliers (verzuiling). N’étant plus juif, il n’était pas pour autant devenu chrétien. Et pourtant, l’image de Spinoza comme un philosophe solitaire, éloigné de la société des humains est fausse. Dès le début de sa nouvelle existence hors d’Amsterdam, Spinoza fut en relation avec un cercle assez large de personnes, aux Pays-Bas et à l’étranger dans lequel on comptait le chimiste britannique Boyle, Oldenburgh, le secrétaire de la Royal Society de Londres ou, vers la fin de sa vie, Leibniz. Il était également en contact avec des personnages politiques de premier plan comme Jan de Witt, le Grand Pensionnaire républicain de Hollande ou son frère. Son cercle proche était cependant composé de dissidents, surtout des dissidents de la réforme calviniste, les arminiens ou collégiants et d’autres « chrétiens sans église » dont L. Kolakowski nous a livré l’histoire.

Spinoza connecte dès le début sa propre rupture religieuse avec d’autres ruptures dissidentes, en créant un véritable cercle qui sera un espace de liberté en rupture. Ce cercle sera un réseau de relations intellectuelles, mais aussi un cercle d’amis dont la correspondance de Spinoza nous porte témoignage. Ce penseur faussement solitaire partage sa solitude et la rend en quelque manière universelle. Sa solitude a pour contenu une recherche partagée sur une réalité qui n’a plus un sens immédiat, socialement reconnu. Le monde est à reconstruire à partir d’une solitude paradoxale, qui, comme celle de Dieu, n’est pas un isolement mais la capacité même de construire et de penser librement une trame infinie de relations. Si la solitude de Descartes avait dirigé le penseur vers Dieu comme le garant ultime de toute vérité, celle de Spinoza le portera vers le monde, vers l’univers ouvert de la science et de la philosophie, mais aussi de la politique et de l’histoire, par opposition au monde clos de la religion qui est dominé par le préjugé téléologique, l’idée que l’univers est régi par des causes finales et, en dernier ressort par la volonté d’un Dieu conçu comme un souverain. Nous essaierons ici de montrer comment Spinoza s’est efforcé de se placer à ce point de vue totalement original qui est celui de Dieu, un point de vue d’où tout est visible et connaissable sauf ce Dieu qui serait transcendant à l’univers et aux humains et leur donnerait des lois. De ce point de vue de Dieu, nous reconnaîtrons que Dieu est nécessairement athée.


3. La philosophie spontanée de la conscience : le cercle des ignorances

Dans le but que nous nous sommes donnés, il nous faudra commencer par lire une partie de l’Éthique, la grande œuvre de Spinoza qui a la réputation d’être « difficile » à cause des concepts qui s’y déploient, mais aussi en raison de l’ordre de démonstration dont Spinoza se sert : l’ordre géométrique, celui de la géométrie d’Euclide, un ordre formel strict qui démontre des propositions sur les figures et leurs propriétés en les « produisant » à partir de définitions et de notions communes ou axiomes. La première partie de l’Éthique démontre -nous reprenons le résumé de Spinoza- que « Dieu existe nécessairement, qu’il est unique ; qu’il est et agit par la seule nécessité de sa nature ; qu’il est la cause libre de toutes choses ; et en quelle manière il l’est, que tout est en Dieu et dépend de lui de telle sorte que rien ne peut ni être ni être conçu sans lui ; enfin que tout a été prédéterminé par Dieu, non certes par la liberté de la volonté, autrement par un bon plaisir absolu, mais par la nature absolue de Dieu, c’est à dire sa puissance infinie. » (Appuhn1, p.61) Voilà produite une série de thèses qui sont celles d’une philosophie de l’immanence absolue, mais des thèses formulées en faisant intervenir le grand signifiant traditionnel de la transcendance religieuse ou philosophique : Dieu. La première partie de l’Éthique sera une reformulation, une redéfinition, une nouvelle production du concept de Dieu qui va à l’encontre de toutes les évidences de la religion, des idéologies ou des philosophies courantes. Un Dieu qui est à la fois cause libre de toutes choses par sa puissance qui s’identifie à la nécessité de sa nature n’est pas quelque chose d’immédiatement compréhensible. Pour ce faire, il faut en produire le concept, mais cette production rencontre elle-même certains obstacles dans les préjugés, dans le massif de représentations idéologiques qui est le cadre général de notre vie et qui constitue notre conscience.

Spinoza s’efforcera d’exposer dans l’appendice de la Partie I de l’Ethique (De Deo, de Dieu) pourquoi les démonstrations de cette partie du livre ne sont pas évidentes malgré leur vérité. Pour cela, il ne fera pas appel à la simple ignorance, à un prétendu vide de savoir. Pour Spinoza, il n’y a pas de vide dans la nature, ni au niveau des corps, ni au niveau des idées. Ce qui fait obstacle à la production du vrai est une réalité celle d’un « monde » vécu de préjugés cohérents entre eux qui constituent à la fois notre conscience immédiate de nous-mêmes et des choses, et une relation imaginaire à nos conditions d’existence réelles. La fermeture sur elle-même que suppose la conception du monde immédiate ne pourra être dépassée que par la production d’autres concepts qui, eux, ne dérivent pas des notions imaginaires d’une conscience naïve et dont le modèle est cet appareil de production de vérités au moyen d’autres vérités que nous apporte la première science que l’humanité ait jamais découverte : la géométrie.

Laissons donc Spinoza nous exposer le principe de cet univers qui est le notre, le préjugé qui lui sert de base, qu’il énonce comme suit : « les hommes supposent communément que toutes les choses de la nature agissent, comme eux-mêmes, en vue d'une fin, et vont jusqu'à tenir pour certain que Dieu lui-même dirige tout vers une certaine fin ; ils disent, en effet, que Dieu a tout fait en vue de l'homme et qu'il a fait l'homme pour que l'homme lui rendît un culte. » (Appuhn, 61). Ce préjugé, à son tour, repose sur deux faits qu’il est aisé de constater : «  il suffira pour le moment de poser en principe ce que tous doivent reconnaître : que tous les hommes naissent sans aucune connaissance des causes des chose, et que tous ont un appétit de rechercher ce qui leur est utile, et qu’ils en ont conscience. De là suit : I° que les hommes se figurent être libres, parce qu’ils ont conscience de leurs volitions et de leur appétit et ne pensent pas, même en rêve, aux causes par lesquelles ils sont disposés à appéter et à vouloir, n'en ayant aucune connaissance. Il suit : 2° que les hommes agissent toujours en vue d'une fin, savoir l'utile qu'ils appètent. D'où résulte qu'ils s'efforcent toujours uniquement à connaître les causes finales des choses accomplies et se tiennent en repos quand ils en sont informés, n'ayant plus aucune raison d'inquiétude. » (Appuhn, 62).

Spinoza décrit ainsi le cadre d’une ontologie imaginaire de base : le sujet libre qui règles sa conduite sur des fins et des choses qui, également, se trouvent ordonnées à des fins, que ce soient celles de l’homme ou celles, plus obscures, de Dieu. Ceci s’accompagne d’une épistémologie, d’une doctrine sur la connaissance qui est entièrement axée sur la question de la finalité. Elle ne se pose donc pas la question « Qu’est-ce que c’est ? » ou « Comment cela s’est-il produit ? » qui seraient les questions de l’essence et de la cause, mais sur la seule question « À quoi ça sert ? »

Pour faire comprendre les effets de ce décalage entre notre conscience de notre propre désir et de ses objets et l’ignorance de leurs causes, Spinoza nous raconte une brève histoire qui est celle de notre conscience, mais aussi celle qui est à la base des religions et de la plupart des philosophies. Cette histoire commence par une rencontre : « Comme, en outre, ils trouvent en eux-mêmes et hors d'eux un grand nombre de moyens contribuant grandement à l'atteinte de l'utile, ainsi, par exemple, des yeux pour voir, des dents pour mâcher, des herbes et des animaux pour l'alimentation, le soleil pour s'éclairer, la mer pour nourrir des poissons, ils en viennent à considérer toutes les choses existant dans la Nature comme des moyens à leur usage. »(Appuhn, 62). Le préjugé finaliste s’inscrit en nous avec l’évidence de ce qui nous est le plus proche «des yeux pour voir, des dents pour mâcher », de notre corps même conçu comme un ensemble d’instruments disposés en vue d’une fin. De proche en proche, c’est la nature tout entière qui est vue comme ordonnée à l’utilité de l’homme.

Or, comme il se trouve que ces prétendus moyens disposés en vue des fins humaines n’ont pas été produits par les hommes, « ils ont tiré de là un motif de croire qu'il y a quelqu'un d'autre qui les a procurés pour qu'ils en fissent usage. Ils n'ont pu, en effet, après avoir considéré les choses comme des moyens, croire qu'elles se sont faites elles-mêmes, mais, tirant leur conclusion des moyens qu'ils ont accoutumé de se procurer, ils ont dû se persuader qu'il existait un ou plusieurs directeurs de la nature, doués de la liberté humaine, ayant pourvu à tous leurs besoins et tout fait pour leur usage. N'ayant jamais reçu au sujet de la complexion de ces êtres aucune information, ils ont dû aussi en juger d'après la leur propre, et ainsi ont-ils admis que les Dieux dirigent toutes choses pour l'usage des hommes afin de se les attacher et d'être tenus par eux dans le plus grand honneur ; par où il advint que tous, se référant à leur propre complexion, inventèrent divers moyens de rendre un culte à Dieu afin d'être aimés par lui par-dessus les autres, et d'obtenir qu'il dirigeât la Nature entière au profit de leur désir aveugle et de leur insatiable avidité. » (Appuhn, 62) Nous assistons donc à la projection généralisée du désir humain sur l’ensemble de la nature, mais aussi sur la cause supposée de celle-ci : les Dieux ou recteurs de la nature. Nous avons ainsi, à côté d’une ontologie naïve, une théologie naïve également fondée sur l’imagination.

Le problème de cette théologie est sa grande fragilité, le fait que bien des rencontres d’une vie humaine semblent contredire l’idée que le monde ait été créé pour l’homme : «  Parmi tant de choses utiles offertes par la Nature, ils n'ont pu manquer de trouver bon nombre de choses nuisibles, telles les tempêtes, les tremblements de terre, les maladies, etc., et ils ont admis que de telles rencontres avaient pour origine la colère de Dieu excitée par les offenses des hommes envers lui ou par les péchés commis dans son culte ; et, en dépit des protestations de l'expérience quotidienne, montrant par des exemples sans nombre que les rencontres utiles et les nuisibles échoient sans distinction aux pieux et aux impies, ils n'ont pas pour cela renoncé à ce préjugé invétéré. Ils ont trouvé plus expédient de mettre ce fait au nombre des choses inconnues dont ils ignoraient l'usage, et de demeurer dans leur état actuel et natif d'ignorance, que de renverser tout cet échafaudage et d'en inventer un autre. » (Appuhn 62)

C’est ainsi que procède cette véritable méthode circulaire de recherche qui va de l’ignorance à l’ignorance. Spinoza reprendra pour l’illustrer un exemple célèbre de la Physique d’Aristote :  « Si, par exemple, une pierre est tombée d'un toit sur la tête de quelqu'un et l'a tué, ils démontreront de la manière suivante que la pierre est tombée pour tuer cet homme. Si elle n'est pas tombée à cette fin par la volonté de Dieu, comment tant de circonstances (et en effet il y en a souvent un grand concours) ont-elles pu se trouver par chance réunies ? Peut-être direz-vous cela est arrivé parce que le vent soufflait et que l'homme passait par là. Mais, insisteront-ils, pourquoi le vent soufflait-il à ce moment ? pourquoi l'homme passait-il par là à ce même instant ? Si vous répondez alors : le vent s'est levé parce que la mer, le jour avant, par un temps encore calme, avait commencé à s'agiter ; l'homme avait été invité par un ami ; ils insisteront de nouveau, car ils n'en finissent pas de poser des questions : pourquoi la mer était-elle agitée ? pourquoi l'homme a-t-il été invité pour tel moment ? et ils continueront ainsi de vous interroger sans relâche sur les causes des événements, jusqu'à de que vous vous soyez réfugié dans la volonté de Dieu, cet asile de l'ignorance. »

Or ce théâtre de l’ignorance, qui n’est pas du tout un vide, mais un monde, celui que nous vivons d’ordinaire et, également, notre forme de vie la plus commune produit bien sûr des effets dans la pratique : d’abord, des effets de soumission aux Dieux, mais dans un deuxième moment, quand le préjugé s’organise en discours et en méthode d’argumentation par l’ignorance, la soumission aux Dieux devient soumission à des hommes, aux prêtres et aux souverains de ce monde. La superstition, cette volonté de faire de l’ignorance, non une limite naturelle de la connaissance, mais une connaissance effective, se donne un cadre social qui la reproduit avec des interprètes officiels de la volonté de Dieu et des gouvernants qui gouvernent au nom de Dieu. La principale expression politique de ce régime superstitieux est celle qui nous présente le pouvoir comme le plus éloigné de la multitude des citoyens : la monarchie. La monarchie est pour Spinoza, ce penseur républicain même en métaphysique, l’aboutissement politique de la superstition, cette véritable aliénation par laquelle le désir des individus était transféré dans une supposée volonté divine. Dans la matrice théologico-politique du pouvoir, la superstition est entretenue par le pouvoir, mais en même temps, elle en est le soutien principal. Comme le dira Spinoza dans le Traité théologico-politique : « Mais si le grand secret du régime monarchique et son intérêt majeur est de tromper les hommes et de colorer du nom de religion la crainte qui doit les maîtriser, afin qu'ils combattent pour leur servitude, comme s'il s'agissait de leur salut, et croient non pas honteux, mais honorable au plus haut point de répandre leur sang et leur vie pour satisfaire la vanité d'un seul homme, on ne peut, en revanche, rien concevoir ni tenter de plus fâcheux dans une libre république, puisqu'il est entièrement contraire à la liberté commune que le libre jugement propre soit asservi aux préjugés ou subisse aucune contrainte. »  (T.th-p, II. 7)

On comprend mieux désormais l’enjeu surtout pratique de la philosophie de Spinoza, dont l’ouvrage principal ne s’appelle pas par hasard « Ethica ». Il s’agit de sortir de ce cercle vicieux de la conscience finaliste qui ne voit dans la nature que des fins et des sujets libres, dans la mesure où s’y articulent la conscience du désir et l’ignorance des causes. Dans ce discours théologique ou théologico-politique, la connaissance par les causes est remplacée par le jugement moral ou par d’autres jugements de valeur sur la nature ou sur les hommes qui fonctionnent sur la base d’oppositions binaires : bon-mauvais, beau-laid, ordonné-désordonné. Comment sortir de ce déliré ordonné (au double sens du terme) et entrer dans le savoir des causes ?

4. La sortie du labyrinthe : la traduction de la conscience à la science

Spinoza nous donne une première et précieuse indication : « Ils ont donc admis comme certain que les jugements de Dieu passent de bien loin la compréhension des hommes : cette seule cause certes eût pu faire que le genre humain fût à jamais ignorant de la vérité, si la mathématique, occupée non des fins mais seulement des essences et des propriétés des figures, n'avait fait luire devant les hommes une autre norme de vérité ; outre la mathématique on peut assigner, d'autres causes encore (qu'il est superflu d'énumérer ici) par lesquelles il a pu arriver que les hommes aperçussent ces préjugés communs, et fussent conduits à la connaissance vraie des choses. » (Appuhn, 63)

Il existe donc un moyen de sortir de ce labyrinthe spéculaire où l’ignorance de l’homme se reflète dans une ignorance d’un ordre supérieur qui se nomme « volonté » de Dieu. Un moyen qui a déjà été pratiqué, mais que pourrait aussi être profitable hors de son domaine d’application initial. Face à un monde qui se révélerait à nous comme un ensemble de fins qui demanderait à être lu ou interprété comme un texte ; il est possible de concevoir le monde et Dieu lui-même comme quelque chose dont le concept peut être construit et dont les propriétés peuvent être démontrées, comme une réalité qui peut se comprendre par des causes.

On n’abandonne pas, cependant, ces objets dont nous parle cette première ontologie téléologique, mais on soumet leur connaissance à une rectification qui nous permettra de sortir du cercle des évidences qui ne sont que les nôtres et qui ne peuvent donc ni se traduire ni être vraiment partagées, pour fonder notre connaissance sur des notions communes qui sont toujours vraies, ne dépendant pas des rencontres que nos faisons mais de ce que nous sommes en tant que corps et esprits faisant partie d’une nature commune. Une nature qui ne s’unifie pas sous le commandement d’un Dieu extérieur, mais par la puissance commune qui s’y exprime, qui est elle-même identique à l’essence et à la puissance de Dieu. Il n’y a pas de doute méthodique ni métaphysique chez Spinoza, pas de scepticisme comme étape nécessaire à l’acquisition du vrai. Seule la puissance de l’entendement (potentia nativa intellectus) exprimée par la puissance de l’idée vraie « que nous avons » (habemus enim ideam veram) tient lieu de méthode. Cette méthode du vrai, cette progression du vrai à partir du vrai sera la seule à même de libérer l’esprit de la connaissance imaginaire et de produire un savoir vrai. Ce savoir vrai sera aussi un savoir sur son autre (verum index sui et falsi : le vrai est l’indice de soi-même et du faux) sur la connaissance imaginaire qui, à la fois empêche l’éclosion du vrai et sert à celui-ci de matière première, de sol.

La méthode de l’Éthique est donc polémique, puisqu’elle oppose des thèses et des normes de vérité différentes, mais en même temps elle investit les notions de son autre imaginaire pour leur donner un autre sens, rationnel. Le centre de la forteresse théologique et politique autour de laquelle s’organise l’espace de l’univers téléologique, du monde donc tel que nous l’imaginons ou le vivons, est le concept de Dieu. Dieu est donc le premier objet sur lequel l’Éthique va se pencher, pour ensuite aborder l’esprit humain et les passions humaines et nous offrir une perspective de salut rationnel. Dieu, dans le cadre de l’ordre géométrique n’est pas un objet qui nous est donné, l’objet d’une expérience, mais, conformément à la discipline euclidienne, l’objet d’une définition : « J'entends par Dieu un être absolument infini, c'est-à-dire une substance constituée par une infinité d'attributs dont chacun exprime une essence éternelle et infinie. » (EI, def VII)

Dieu est donc défini. Il est avant tout une substance. La substance, est, pour toute la métaphysique d’origine aristotélicienne et cartésienne, le nom de toute réalité séparée, de toute chose à laquelle nous pouvons attribuer des qualités ou de laquelle nous pouvons prédiquer des attributs. Une substance est, par exemple, une de ces réalités qui se présentent à notre conscience comme porteuses d’une finalité, comme « les dents pour mâcher ou les yeux pour voir ». D’après cette conception imaginaire de la substance, nous mêmes nous sommes des substances, puisque nous percevons notre propre existence comme séparée grâce à la conscience que nous avons de notre volonté libre. C’est la projection d’un désir ignorant de ses causes qui sert de modèle à tout un univers composé d’objets (ou de sujets) indépendants et caractérisés par une fin.

La définition de Dieu comme substance infinie viendra cependant bouleverser ce cadre téléologique commun aux métaphysiques naïves de l’imagination, aux religions et aux métaphysiques savantes. Si Dieu est une substance infinie, plus rien d’autre ne peut le limiter, surtout pas la réalité finie. Si Dieu était distinct de la réalité finie et extérieur à elle, celle-ci limiterait l’infinité divine et rendrait l’infini fini. Il ne peut donc pas exister d’infini transcendant. Par conséquent, les réalités finies sont comprises en Dieu et ne sont pas des substances. Ce sont des expressions finies de Dieu que Spinoza appelle des « modes ».

C’est dans les modes que s’exprime l’essence infinie de Dieu : l’infini s’exprimant comme une infinité de finitudes. En outre, ces modes appartiennent à Dieu en tant qu’il exprime une essence infinie. Or cette essence se décline en une infinité de registres qualitatifs de l’être irréductibles entre eux. Les réalités différentes qui se conçoivent comme infinies, telles la Pensée ou l’Étendue, conviennent à Dieu et en constituent les infinis attributs. Les attributs constituent Dieu, autrement dit, ils l’expriment sans résidu : Dieu n’est que l’infinité de ses attributs. Il n’y a donc pas de distinction réelle entre la substance et les attributs. Mais Dieu ne s’exprime que dans une infinité de modes finis correspondant aux différents attributs. Il n’y a pas de Dieu transcendant au monde fini, mais il n’y a pas de réalité finie qui ne soit l’expression de l’essence et la puissance de Dieu à un certain degré (c’est le sens originaire de modus en latin : degré ou quantité). Si la réalité finie n’est pas substantielle, elle est nécessairement en Dieu. Dieu, nous dit Spinoza : « est cause immanente mais non transitive de toutes choses. » (EI, p. 18), ce qui veut dire que, en Dieu -en Dieu, qui s’exprime en une infinité de réalités finies- chaque chose se constituera à travers des rencontres qui pourront configurer des relations complexes, stables et capables de durer, que Spinoza appelle des « individus ». Ce qui se présentait avant, dans notre ontologie naïve comme une chose, se présente comme une relation complexe, déterminée par des causes, mais capable également de produire ses propres effets. Tout ce qui existe s’affirme activement dans l’être et fait partie de l’affirmation absolue qu’est Dieu. En cela, nous, qui ne sommes pas des substances, n’avons comme substance que Dieu lui-même. Nous sommes Dieu. Spinoza dira « Deus quatenus », Dieu en tant que Pierre, Marie ou Paul ou ce chien, ce caillou, ce nuage…



Conclusion : le vertige de la liberté

Au terme de cette traduction du langage de l’imagination dans celui de l’entendement, les entités de l’univers finaliste sont vues comme des parties d’une nature infinie identique avec Dieu qui, n’étant pas des substances sont des nœuds de relations. La géométrie, la mathématique en général, ne connaissent que des entités constituées par des relations. Ces relations sont, en outre, causales, productives : elles déterminent l’existence ou l’inexistence d’un être fini. L’univers de Spinoza n’est pas soumis au bon vouloir d’un Dieu monarque, mais aux lois immanentes de la nature. Or ce déterminisme du complexe, où toute détermination est à son tour déterminée par une infinité de causes (surdétermination), est aussi l’espace d’une liberté effective. Il s’agit d’une liberté qui ne s’exprime pas dans le choix, mais dans l’action, dans l’agir qui est en chacun de nous la puissance absolue de Dieu. Ni Dieu ni l’homme ont dans ce contexte un fondement, une garantie : Dieu, à l’instar de toute réalité active où Dieu exprime son essence, sont des affirmations absolues. La théologie chrétienne dit de chacune des personnes de la Trinité qu’elle est « anarchos », sans principe, mais également sans garantie. Cette liberté anarchique et immanente aux corrélations de forces de la nature nous donne un certain vertige. Cette liberté nous situe dans le point de vue du Dieu que nous sommes, ce Dieu qui n’a pas de Dieu ni d’ordre moral au dessus de lui, ce Dieu libre et athée.

1Toutes nos références à l’Éthique sont faites à partir de la traduction de Charles Appuhn, Spinoza, Oeuvres (4 volumes), Traduction notices et notes par Ch. Appuhn, Paris, Garnier, 1965. Le volume 3 correspond à l’Éthique.

miércoles, 8 de marzo de 2017

Reflexiones para un día de la mujer trabajadora



Es fundamental entender que la opresión de las mujeres, al igual que el racismo o las ideologías de la "normalidad" sexual forman parte de modos de dominación distintos del capitalismo y, en gran parte, heredados de otras estructuras sociales. Es cierto que el capitalismo podría en su forma ideal funcionar sin la opresión de la mujer, el sexismo, el colonialismo, etc., pero el hecho es que el capitalismo histórico, el realmente existente, siempre se ha valido de estas formas de dominación como "externalidades", en la práctica necesarias para su constitución y perpetuación.

De ahí que la lucha de las mujeres sea una lucha autónoma respecto de la lucha contra la dominación del capital, pero que la liberación de las mujeres sea también un elemento fundamental dentro de la transformación del estado de cosas actual que no solo consiste en superar el capitalismo. Igual que la lucha proletaria contra la explotación capitalista, la lucha de las mujeres no es una lucha por la igualdad, sino por la transformación radical de las instituciones de dominación. La igualdad puede y debe reclamarse cuando no exista, pero no hay que olvidar que la igualdad de los contratantes es el fundamento mismo del derecho de una sociedad mercantil como la nuestra y que lograrla no cambia la realidad material. Puede haber una perfecta igualdad de las mujeres o de los trabajadores con los individuos y categorías que integran el resto de la población sin que por ello desaparezcan la opresión y la explotación, pues estas no se dan en el plano del derecho y tampoco se resuelven en dicho plano.

Lo mismo cabe decir de otras diferencias convertidas en resortes de dominación como las diferencias basadas en rasgos físicos distintos de los sexuales (razas, minusvalías, etc.): solo una lucha temática autónoma puede acabar con estas formas de opresión, nunca reductibles a la lucha de clases. Como señala Ellen Meiksins Wood, el capitalismo real no funciona nunca sin explotar como externalidades positivas para él otras formas de dominación (racismo, sexismo, etc.). Más aún, el capitalismo necesita para existir explotar formas de cooperación social preexistentes, que no suponen ninguna dominación como las relaciones lingüísticas, simbólicas o afectivas que hacen que una sociedad sea una sociedad. Como explica Marx en el capítulo del Capital sobre la cooperación, el capital no solo explota al trabajador individual sino el trabajo asociado, con el agravante de que ni siquiera lo paga formalmente.

Lo mismo puede decirse del trabajo reproductivo y afectivo que, hasta nuestros días, hacen prioritariamente las mujeres fuera del ámbito de la economía productiva delimitado por las relaciones de producción capitalistas. El capital explota al trabajador, pero para hacerlo solo lo trata formalmente, jurídicamente, como un átomo de la sociedad, mientras que la explotación real, la históricamente existente, afecta al conjunto de la fuerza de cooperación social que incluye el lenguaje, los afectos, el conocimiento, la capacidad de reproducción física, etc. Todos estos aspectos quedan fuera del análisis del modo de producción capitalista hecho por Marx y constituyen, sin embargo, el entorno necesario de este sistema.



Podría concebirse una victoria política de los trabajadores que se saldara por la constitución de una asociación libre de trabajadores libres, pero que dejara en sus márgenes espacios de exclusión y de dominación, al modo en que en la democracia griega antigua podían convivir un espacio político de los ciudadanos libres e iguales y un espacio económico (del hogar) basado en la desigualdad entre hombres y mujeres y personas libre y esclavos. Podría haber un comunismo patriarcal y racista, pero, obviamente, este comunismo no podría ser democrático pues mantendría un reparto permanente del poder y la riqueza incompatible con la democracia. La democracia, si es algo, es un proceso siempre abierto de integración de las partes excluidas. Tal proceso es indispensable en un comunismo no opresivo. Pero esto no basta, pues la democracia, a su vez se basa en la capacidad de acción autónoma, de resistencia y de afirmación de los distintos sectores de la multitud y no solo en un reconocimiento formal de derechos.

El problema de la lucha por la libertad es ciertamente complejo, pero no debemos abandonar ninguno de sus cabos. Se aplican a esta dificultad que es propia de todo lo valioso en una existencia humana, las últimas palabras de la Ética de Spinoza: "Si la vía que, según he mostrado, conduce a ese logro parece muy ardua, es posible hallarla, sin embargo. Y arduo, ciertamente, debe ser lo que tan raramente se encuentra. En efecto: si la salvación estuviera al alcance de la mano y pudiera conseguirse sin gran trabajo, ¿cómo podría suceder que casi todos la desdeñen? Pero todo lo excelso es tan difícil como raro." 

martes, 14 de febrero de 2017

Sobre elitismos y liderazgos

Sobre elitismos y liderazgos
(Texto publicado en el blog Contraparte del diario Público)




1.
Es frecuente que se tache de « elitista » a quien critica las insuficiencias democráticas de un proceso de estilo plebeyo como el sorprendente congreso recientemente celebrado por Podemos. La crítica de un proceso abrazado por un sector de las clases populares y bastantes sectores de las clases medias la ven algunos como muestra de la supuesta « superioridad » cultural o social del intelectual respecto de las clases populares. Es perfectamente cierto que existe el elitismo, pero rara vez un elitista critica la falta de democracia ; lo que critica el elitista son los « excesos » de la democracia, el que se haya dejado en manos de un pueblo « poco preparado » toda una serie de decisiones importantes que atañen al bien común. El elitista critica la rebelión de las masas. La crítica del « principio del liderazgo » (mejor no traducir esto al alemán) no es nunca una crítica elitista sino democrática : no se basa en la « incapacidad » de la gente para gobernar, sino en lo contrario, en la idea de que la multitud, en condiciones de libertad, es mucho más capaz de gobernarse racionalmente que bajo el mando de unas élites o de un líder. Sencillamente, como sabía bien Maquiavelo, es más fácil que una decisión política absurda sea tomada por una o unas pocas personas que por una asamblea amplia donde entran en contraste muchos pareceres.

2.
El problema del elitismo es perfectamente real. Sin embargo, el único elitismo no consiste solo en lo que en Argentina denominan el « gorilismo » de las oligaquías, ese profundo desprecio de estas por las clases populares que constituye el reflejo especular de la adulación de las « cabecitas negras » por parte del peronismo. El elitismo, concretamente el intelectual, es también un problema que arrastran los movimientos de izquierda desde sus orígenes. Muchos dirigentes de la izquierda se presentaron  a sí mismos, o fueron presentados por sus regímenes, como dueños de una verdad definitiva sobre la historia que la gente del pueblo ignoraba, una verdad materializada en las famosas « Obras Completas », de Lenin, de Stalin, de Kim Il Sung, etc. La posesión de esa verdad justificaba su mando. En este caso, se daba la paradoja de que la dinámica pasional de admiración que permitía a estos dirigentes mandar y hacía que el pueblo les obedeciese, se basaba en el supuesto saber racional que se atribuía al dirigente. La pasión, lo irracional, surgía así de un amor por lo racional en el Otro. También ha podido basarse la obediencia al líder en otro aspectos, en otras formas de poder abiertamente pasionales, como ocurrió con los dirigentes de la revolución mexicana o con líderes tales como Perón, Evita o Hugo Chávez. Fue este también -sintomáticamente- el caso de los liderazgos reaccionarios como el de Mussolini o Hitler. En todos estos ejemplos, el seguimiento del líder estuvo basado en la capacidad superior que se le suponía, su misterioso « carisma », esto es su capacidad de unir a mucha gente en pos de un objetivo común. Puede decirse, en síntesis, que la relación con el líder, sea cual sea la cualidad que se le supone, es una relación pasional, afectiva, que genera obediencia.

3.
Las dinámicas pasionales e imaginarias son fuertemente interclasistas. No son una cualidad exclusiva de la « plebe » como suponen las oligarquías. En el caso de Podemos -y del peronismo- estas pasiones políticas atraviesan capas de población con una alto nivel de formación académica, como ocurre, por lo demás, en todos los movimientos y corrientes políticos, pues como correctamente afirma Laclau "toda política es populista". Este es un hecho difícilmente controvertible : el ser humano es un animal que tiene imaginación y afectos y se rige sobre todo por ellos, no por una verdad racional, sea esta real o supuesta. Tal vez lo clasista sea pensar, más allá de este hecho, que la gente "del pueblo" solo puede participar en la política bajo las formas de la obediencia pasional a un mando y no es capaz de protagonismo propio. No solo es profundamente discutible esa idea, sino que siempre ha sido el argumento central de las políticas reaccionarias. Existe un « gorilismo » que desprecia al pueblo por sus afectos y pasiones (como si fueran una característica exclusiva del pueblo, y no de toda la especia humana) y que tiene a las clases populares por incapaces de criterio propio. Es esta una forma muy común de « gorilismo », que echa sus raíces en el hecho de que, en el capitalismo, el Estado tenga el monopolio -al menos formal- de la política. En esto coinciden todos los « gorilismos », sean de izquierda, de derecha, o incluso populistas. Quienes lo practican se arrogan, como partes del Estado, una parte del monopolio colectivo de la política por la clase política, considerando al pueblo, en coherencia con ello, incapaz de producir un conocimiento propio de sus circunstancias e intereses vitales o de actuar unido, si no es bajo su mando.

4.
Es posible, sin embargo, otro tipo de política que propicie, y no impida, que la plebe sea un actor político de pleno derecho. No se trata de que no existan liderazgos, pues todos los seres humanos vivimos en la imaginación y en la pasión, y existen coyunturas afectivas en las que surgen líderes. Nadie puede impedir que la imaginación y las pasiones de un individuo lleguen a influir a un sector significativo de la población, ni que este sector se identifique con este individuo. Sin embargo, una política democrática debe tender a hacer desaparecer los liderazgos o a atenuarlos fuertemente a través de una participación popular real, nunca a la perpetuación o el refuerzo de formas de dependencia personal y afectiva. La propia historia del peronismo, ese paradigma del liderazgo populista, es una historia de resistencia popular y de conquistas sociales y democráticas que no cabe despreciar, pero el propio peronismo también conoció liderazgos que, en más de una ocasión, llegaron a ser fuertemente represivos y contrarios a los intereses populares como el de Isabelita y López Rega. Solo la democracia, esto es la participación activa de la gente en las cosas comunes, educa a los propios actores y les permite tomar en sus manos su vida colectiva evitando las derivas de los liderazgos y consolidando instituciones de una democracia real. Las políticas elitistas, en las que, como en los liderazgos populistas autoritarios, unos mandan y otros obedecen, no contribuyen a esta autoeducación, sino que la bloquean.


5.
España es un país donde la dictadura del General Franco se erigió en protectora del pueblo frente a sus bajas pasiones, a su violencia (sus "demonios familiares" en palabras del "Caudillo"), pues estas conducen según este discurso, a la guerra civil y al caos. También es ilustrativa a este respecto la experiencia de los socialismos reales, maestros en la intimidación y la infantilización de las poblaciones por un líder o un partido que « siempre tiene razón », según el orwelliano himno de las juventudes comunistas germanoorientales. Se debe ser muy prudente, por lo tanto, frente a todo retroceso democrático, todo recorte de libertades, o merma de la participación. El propio Hugo Chávez, que era un líder populista bastante lúcido, tal vez debido a sus orígenes populares, dijo que cuando, en un proceso revolucionario se retrocede en materia de libertades, ya no hay vuelta atrás. Lo mismo había afirmado, por cierto, Rosa Luxemburg, lo mismo intuyó también Gramsci. Pero no hace falta ser un gran líder ni ningún genio del pasado para comprenderlo: el propio Pablo Iglesias dijo en uno de sus mejores momentos que "cuando tú no haces la política, otros la harán por ti"...y contra ti. Tal vez sea este el único « pablismo » indispensable.


sábado, 11 de febrero de 2017

El eclipse de la dominación o el socialismo

(Artículo publicado en la web de Viento Sur)

I
El sujeto ha sido siempre un enigma para la filosofía, pues siempre se nos presenta a la vez como lo más evidente y lo más inasible. Decía Kant que todas las representaciones de mi mente llevan unido a ellas el “Yo pienso” , pero que ese “Yo pienso” no puede tener representación de sí mismo, no puede ser objeto de un conocimiento positivo. Las filosofías idealistas, aquellas que hacen del sujeto un principio originario y del objeto una realidad derivada del sujeto, comparten todas ese punto ciego por el cual la evidencia del sujeto no implica su conocimiento por el propio sujeto. Abandonando ámbitos tan elevados, esta dualidad del sujeto también se nos presenta en nuestra propia vida cotidiana en la cual creemos realizar libremente, como sujetos libres, multitud de actos que supuestamente deseamos sin preguntarnos nunca por la causa del deseo que nos impulsa a esos actos. Somos a la vez conscientes del deseo e ignorantes de sus causas por lo cual creemos que nuestra voluntad es libre y carece de otra causa que ella misma. Según este planteamiento, la libertad del sujeto equivale a que su deseo no tenga causas y a que, por consiguiente, el sujeto humano libre sea una completa excepción al orden general de la naturaleza. Spinoza afirmó que esto equivalía a representarse al hombre como “un imperio dentro de otro imperio”, estando el imperio del sujeto humano libre del imperio general de las leyes naturales. El materialismo es la negación de este planteamiento y el restablecimiento, en consonancia con los supuestos y los resultados de las ciencias, de la continuidad del orden natural, pues afirma que la actividad humana es un efecto más dentro de la naturaleza y que el deseo o los actos de voluntad obedecen a causas determinables. Por su parte, el sujeto libre se muestra, para el materialismo, como una ilusión producida por la imaginación en determinadas circunstancias. Este reconocimiento del carácter ilusorio de la libertad indeterminada del sujeto no disuelve la “evidencia” que tiene para nosotros esta libertad, pero sí priva al sujeto de su supuesto carácter de fundamento del conocimiento y de la acción.

II
La opacidad que se esconde detrás de la evidencia del sujeto tiene consecuencias éticas, pero también políticas. No son pocos los casos en los cuales un sujeto político se vuelve invisible para sí mismo, sobre todo en la política de la modernidad capitalista, incluidas sus derivaciones socialistas. La particularidad del capitalismo es que, siendo como es una sociedad de clases, a nivel jurídico, político e institucional, se presenta como una sociedad sin clases, en particular, sin clase dominante, como una sociedad en la que prevalece una gran clase media. Todas las sociedades de clases anteriores al capitalismo reconocieron ser sociedades de clases y justificaron la explotación de los trabajadores por la desigualdad entre una clase dominante que gobierna sin trabajar y una clase dominada que trabaja sin gobernar. El esclavismo, el feudalismo, los distintos despotismos « orientales » reconocieron esto e hicieron, por consiguiente, visible al sujeto de la dominación. El capitalismo no hace esto, pues su institución central, el mercado, se basa en la igualdad y la libertad de los individuos que en él intercambian sus bienes. La dominación social es rigurosamente invisible, pues se sale de los marcos en los que es posible verla o enunciarla : existe, pero solo a escala microfísica (el despotismo de fábrica y otros despotismos laborales) o macrofísica (la dictadura de clase de una clase unificada como Estado).
Ni la burguesía ni las demás clases gestoras de la dominación capitalista son visibles en el marco determinado por el derecho, la política o las distintas ideologías. Pueden tal vez describirse sociológicamente sus modos de vida, sus gustos, etc., pero no verse como clases dominantes ni explotadoras. Una sociedad capitalista desarrollada, sin demasiados resabios de otros modos de producción, acaba viéndose a sí misma como una gran clase media, como una sociedad sin clases. La dominación de clase de las clases capitalistas solo resultó visible y enunciable -y aún así con multitud de obstáculos y dificultades- gracias a instrumentos de análisis específicos dispuestos por el materialismo histórico, que funcionan como microscopios que penetran en los más recónditos lugares de producción y explotación o como telescopios que aciertan a ver el paisaje más amplio de una dominación social general de las clases dominantes. Todo esto hace que la clase dominante no se presente nunca como tal y que, incluso, no llegue a verse a sí misma como clase explotadora.

III
Esa invisibilidad de la clase dominante se perpetúa en los socialismos. Los socialismos pretenden, supuestamente contra el capitalismo, realizar las promesas de igualdad contenidas en el derecho burgués, promesas que quedaron incumplidas debido a la dominación violenta e injusta de las clases capitalistas. Para ello, se han valido de toda una serie de métodos, diferentes en las socialdemocracias y los socialismos reales, que coincidían en un uso del Estado como instrumento de la realización de esa igualdad. Este uso pudo consistir en políticas democráticas orientadas a la redistribución de la riqueza, unidas a un mayor control estatal de la economía por medio de normas y nacionalizaciones, o en un control absoluto y en condiciones de absolutismo político, del conjunto de la economía por parte del Estado. En el segundo caso, el socialismo ya no era una tendencia política más dentro del pluralismo democrático, sino, supuestamente, un orden social que había superado el capitalismo y la sociedad de clases. Los dirigentes socialdemócratas se veían a sí mismos como los gobernantes democráticos de una sociedad de clases medias en la que había que hacer de esas clases medias la encarnación material de los ideales de igualdad, pero los dirigentes del socialismo real presentaban su sociedad sin dominación de clases de otra manera.
Para entender el dispositivo ideológico que permitía en el socialismo real afirmar a la vez la existencia de clases y la inexistencia de explotación y dominación social, no hay mejor guía que Stalin. Como se sabe, en paralelo con los procesos de Moscú, y bajo la inspiración del principal fiscal de estos procesos, Vichinsky, Stalin acometió la singular tarea de transformar la URSS en un “Estado socialista de derecho” dotado de una constitución. La constitución soviética de 1936 sustituye así los textos revolucionarios y consagra jurídicamente el nuevo orden. Stalin dedica a esta constitución un interesante prólogo en el que expone la transformación social ocurrida en la Unión Soviética desde la Revolución de Octubre :
La clase de los terratenientes, como saben, ya ha sido eliminada como resultado de la victoriosa conclusión de la guerra civil. En cuanto a las demás clases explotadoras, han compartido la suerte de la clase de los terratenientes. La clase capitalista en la esfera de la industria ha dejado de existir. La clase de los « kulaks » en la esfera de la agricultura ha dejado de exisitir. Y los mercaderes y especuladores en la esfera del comercio han dejado de exisitir. De este modo, han sido eliminadas todas las clases explotadoras.
Queda la clase obrera.
Queda el campesinado.
Queda la intelligentsia.
(Stalin, Sobre el proyecto de constitución de la URSS, 25 de noviembre de 1936)
Nos encontramos en este texto ante una situación paradójica en la cual, la clase obrera, una clase que se define exclusivamente en la tradición marxista por su expropiación y su explotación puede seguir existiendo, perseverando en su ser, sin que exista ninguna clase que la expropie ni explote. Queda también el campesinado, que tampoco es explotado, pero, sobre todo, “queda la intelligentsia”, la capa intelectual a la que pertenecen los dirigentes soviéticos (incluido Stalin). Esta capa social habla y actúa desde una posición dirigente (desde el Estado) como clase dominante, al tiempo que se hace a sí misma invisible detrás de la denominación abstracta “intelligentsia” y de la supuesta fusión de esta en una gran clase media trabajadora que Stalin describe en estos términos : las líneas divisorias entre la clase obrera y los campesinos, así como entre estas clases y los intelectuales, se están borrando, y [...] está desapareciendo el viejo exclusivismo de clase. Esto significa que la distancia entre estos grupos sociales se acorta cada vez más. Tenemos así, un proceso revolucionario detenido e institucionalizado como Estado que recupera junto al propio aparato de Estado capitalista un orden jurídico basado en la expropiación de los trabajadores por el Estado. Este orden se caracteriza por la imposición por un Estado dueño de todo el capital, y sin ninguna competencia de otros capitalistas, de un orden social dominado por la relación salarial y formas aberrantes del intercambio de mercancías. Por otra parte, el socialismo real coincide con las socialdemocracias en su voluntad paradójica de superar el orden de clases mediante la creación de una gran clase media donde se fusionan tendencialmente las clases sin realmente desaparecer. De lo que se trata es de hacer invisible, en ambos casos, la dominación social y política y la explotación económica de una clase dominante que no dice su nombre, ya se trate de la “intelligentsia trabajadora” soviética o la clase política socialdemócrata cooptada por las clases capitalistas a través del Estado.

IV
La doctrina de Ernesto Laclau pretende superar los vicios de un socialismo “científico” basado en el determinismo económico e incapaz de pensar el momento político en su autonomía. Para ello, sustituye la determinación de la política por la economía, que Laclau atribuye en general al marxismo por un dispositivo teórico y político que permite pensar la política, no ya como traducción de la lucha de clases en la esfera política, sino como una articulación original de demandas sociales variadas y dispersas alrededor de un significante vacío, sea este un líder, un nombre, un concepto o cualquier otra cosa que sirva para establecer una cadena de equivalencias entre las demandas. Tal es el sentido de lo que denomina Laclau “articulación hegemónica”. Independientemente de que este tipo de planteamiento sea o no una “superación del marxismo”, lo que se aprecia en él es una coincidencia con el más rancio marxismo, sea este socialdemócrata o estalinista en la ofuscación o el eclipse del sujeto de la dominación. En la teoría hegemónica de Laclau se piensa una articulación hegemónica que no tiene ninguna raíz social ni económica predeterminada y, siendo como es artificial (se trata explícitamente de una « operación »), no declara nunca, sin embargo, cuál es su sujeto o artífice. Este lugar queda eludido en favor de un supuesto significante vacío hegemónico sobre cuya constitución como tal no se nos informa. Los agentes de la operación, cuyo término es la configuración de un régimen de mando y obediencia, son tan invisibles y abstractos como lo son para sí mismas y para la ideología dominante las clases dominates tanto en el capitalismo como en sus derivas socialistas, en las que, por cierto, Laclau inscribe su proyecto de hegemonía que se presenta como clave de una “estrategia socialista”.
La autoinvisibilidad del sujeto de la dominación no es el resultado de un engaño, sino de una estructura que presenta a una clase dominante como la mera encargada de gestionar un interés universal. Esa autoinvisibilidad es una necesidad interna a las sociedades donde prevalece el modo de producción capitalista, pero también a todas las fuerzas políticas, aun las supuestamente anticapitalistas, que actúan desde el Estado. El Estado se presenta como encarnación del interés general, de lo universal, como representante de una gran clase media que la acción estatal contribuye a crear y reproducir. Esta clase media es a la vez el efecto y el soporte de las pretensiones de universalidad y de separación respecto de los conflictos y particularismos sociales que caracterizan al Estado, pero es también una de las principales externalidades socioeconómicas necesarias para la autoperpetuación de las relaciones capitalistas de producción.

V
Detrás de toda política en la que el sujeto de la dominación se eclipse y se presente como clase universal, representante de “la gente » o de los « trabajadores de todas las clases”, o “constructor del pueblo”, hay un proyecto de dominación que se deniega a sí mismo. Solo un análisis en términos de clase y una actuación política que no persiga la “realización” de la “igualdad” sino una transformación efectiva de las relaciones sociales de producción permitirá salir de los callejones sin salida de los socialismos reales, realistas o populistas. A este respecto, en la actual coyuntura interna de Podemos, el supuesto “debate” entre el socialismo de izquierda clásico (eurocomunista o socialdemócrata) y la hipótesis populista o hegemónica, esconde muy mal las coincidencias esenciales de los dos principales sectores que aspiran al recambio de élites dentro del Estado capitalista español.

Por qué no estaré en Vistalegre 2



Mucha gente me pregunta si voy a estar presente en la asamblea de Vistalegre 2. Por diversos motivos no me será posible. En primer lugar, por un motivo formal: no veo sentido a una asamblea en la que no hay gran cosa que debatir, pues lo esencial ya habrá sido votado antes de la propia asamblea. En segundo lugar, tengo también para no ir un motivo afectivo. Sí, también existen los motivos afectivos, y, en este mundo de fieras, no me da vergüenza reconocer mi propia vulnerabilidad.

A mí con un Vistalegre me sobró. Tengo pocos recuerdos en mi vida tan tristes y humillantes como la escenificación del aplastamiento del 15M en nombre del propio 15M que se dio en Vistalegre I. Tengo que remontarme a mi adolescencia y mi ya remotísima y breve militancia en el PSOE para recordar una tan descarnada violación de las conciencias. Y aún así. Esto fue aún más brutal, porque fue orquestado, deliberado: se trataba de romper moralmente a mucha gente, poniéndola ante la disyuntiva de abandonar sus principios y aceptar los contrarios, o no seguir en el proyecto. Todo ello justificado por una pretendidamente sutil dialéctica del poder conforme a la cual la conquista de la democracia se había de realizar mediante su completo abandono. Todo ello para cosechar estas cenizas, para encontrarnos hoy en este vacío aterrador donde resuenan pomposos discursos.

No me veréis por allí, aunque seguiré activo en el espacio abierto por el 15M y que el Podemos inicial estructuró de manera potencialmente eficaz. Espero que la lista en la que me incluyeron la confianza y amabilidad de mis compañeros y amigos de Podemos en Movimiento saque muy buenos resultados, pues serán necesarios para vencer el rodillo del infame método desborda, diseñado, como anteriormente la "plancha", para perpetuar una nomenklatura (que hoy se divide en dos). A pesar de Ellos y su disparatada estrategia de toma del poder interna, sigue habiendo vida en Podemos.

Sé que muchos iréis por encontrar a los compañeros y a la mucha gente decente y valiente que sigue habiendo en Podemos. A todos vosotros os deseo mucha suerte en la asamblea. Estaré con vosotros en todas las fases siguientes, bajo, cabe, con, contra, dentro y fuera de Podemos.

viernes, 10 de febrero de 2017

El virus de Podemos

Me presento como candidato al Consejo Ciudadano Estatal de Podemos por la lista Podemos en Movimiento. Al tiempo que agradezco la confianza puesta en mí por los compañeros y amigos de esa excelente lista, tengo que recordar que mi presencia en una lista no es algo que en sí me guste. El que una organización como Podemos tenga en su seno tendencias de opinión me parece sano y necesario, lo cual no significa que en los procesos de toma de decisiones estas tendencias tengan que comportarse como partidos internos enfrentados por la captación del voto y con un solo objetivo: gnar, ganar frente e incluso contra los otros. Si el ciclo 15M-Podemos aportó algo de positivo a nuestra educación política democrática, es su enseñanza de que la política puede y debería seguir otros cauces que los del enfrentamiento entre partidos oligárquicos que persiguen captar el voto, y que los procesos de decisión colectiva deben primar sobre cualquier elección.

Podemos se creó para poder instilar el virus democrático incubado en las plazas y las asambleas dentro de las esferas mediática y representativa, produciendo así efectos disruptivos en las dinámicas antidemocráticas y absolutistas propias de estos ámbitos. Con ello se esperaba convertir la potencia de la indignación social en poder constituyente. La operación de instilación del virus Podemos era, sin embargo, sumamente delicada: requería un gran tacto a la hora de actuar en los ámbitos mediático y político, pues tanto los medios como el sistema político están ahí para secuestrar y neutralizar la capacidad de expresión y de decisión democrática de los ciudadanos. Estos dos aparatos de Estado funcionan en el marco de una relación unidireccional de control o de mando de la multitud. Los medios no admiten réplica y bombardean a la población con sus mensajes. Las instancias políticas, parlamentos, gobierno, etc. están, por su lado, basadas en la representación, pero esta representación a su vez reposa en un mandato libre: cuando voto por un diputado este tiene individual -y colegiadamente en el seno del parlamento- un derecho absoluto a actuar en mi nombre y ninguna obligación de atenerse a un programa. En otros términos, un diputado en una democracia representativa es un átomo de poder absolutista.

El único remedio efectivo contra ese mal hubiera sido mantener a los representantes de Podemos en los medios y las instituciones atados por la obligación de atenerse a una línea debatida y elaborada colectivamente y de someterse a un control permanente de los representados. Esta necesidad debería haberse reflejado en el ámbito organizativo, pues el control de los representantes debía ser ejercido por órganos de participación democrática y de debate y deliberación colectivos que ya existían en Podemos: los círculos. Sin embargo, estos fueron prácticamente liquidados por el esquema organizativo de Vistalegre I en favor de estructuras burocráticas emanadas de los representantes, que reforzaban el control de los representantes sobre la propia organización. De este modo, se produjeron dos efectos negativos para la intención inicial de Podemos: 1) la completa autonomización de los representantes dentro de los aparatos de Estado, esto es su plena integración en estos últimos, y 2) la introducción de las estructuras absolutistas por las que se rige normalmente la esfera representativa dentro de la propia organización. Si en la esfera política del Estado capitalista democrático puede decirse: "la voz del pueblo es su voto; cuando el pueblo ha votado se calla", lo mismo puede afirmrse de la vida interior de Podemos.

La hiperrepresentación mediática e institucional genera una despolitización masiva, pues aleja a las personas de la toma de decisión política, limitando la intervención del ciudadano a una mera elección entre uno u otro representante, tras la cual el elector debe regresar a sus actividades privadas dejando la vida pública en manos del representante que no tarda en considerar la actividad pública como su propiedad exclusiva. De este modo se constituyen las "clases políticas", con todos los riesgos de corrupción y derivas liberticidas que siempre suponen. La despolitización de masas y la necesaria elección entre diversas opciones o líderes excluye toda posibilidad de debate y de toma de decisiones colectivos y crea una polarización que nada tiene que ver con contenidos políticos u objetivos estratégicos, sino con los intereses propios de las oligarquías representativas en liza, que pueden resumirse en uno principal: perpetuarse. Así, dentro de Podemos, independientemente de toda auténtica diferencia estratégica, los dos bandos escindidos de la antigua -y despótica- dirección de un partido devenido empresa, se enfrentan por recabar apoyos en una campaña de invectivas vacías. A lo que asistimos, en ausencia de auténtico debate colectivo, es a una lucha de prestigio entre jefes en la que se juega el control del aparato, una lucha en el vacío, pues lo único que cuenta en ella es la oposición entre Uno y Otro.

En este ambiente viciado en el que el virus del Estado ha quedado inoculado en Podemos, Podemos en Movimiento se presenta como un anticuerpo, con ánimo de recuperar las estructuras democráticas y participativas iniciales y de superar la fase autorreferencial de la organización. Un Podemos democrático y activo será indispensable como arma contra los intentos de legitimar la imposición de la crisis y sus resultados a la población, en otros términos, de representar la crisis. La representación y legitimación de esa maniobra de expropiación masiva de la población que es hoy la "crisis" ha sido hasta hoy bloqueada por la irrupción de Podemos, a pesar de su despotenciamiento interno. Sin embargo, ese bloqueo no puede mantenerse indefinidamente y hay fuerzas que pugnan por superarlo e imponer una restauración del mando capitalista con formas que pueden ser las de una democracia oligárquica y corrupta, como las del PP o el PSOE, o directamente autoritarias. Solo la extensión de la brecha abierta en las revueltas contra la crisis de hace cinco años, tanto en España como en otros puntos de Europa y del planeta, puede permitirnos poner en marcha un proceso constituyente que conduzca a la recuperación de la democracia y de los comunes. Si lo conseguimos, con Podemos y una amplia constelación de fuerzas que no se reconocen necesariamente en Podemos, el virus de la democracia de los comunes podrá seguir su labor constituyente.

miércoles, 1 de febrero de 2017

C17. (Des)Encuentros en Roma sobre el comunismo

C17. (Des)Encuentros en Roma sobre el comunismo

(Publicado en el blog amigo Anarquía Coronada)








Hacía frío en Roma este mes de enero. Esta del C17 es otra Roma, no ya la del visitante o del turista, sino la de quien tiene un apretado programa de trabajo en el marco de un acontecimiento pletórico de actividades que dejaba poco tiempo para el descanso de la atención. Los organizadores quisieron reunir, en este año del centenario de la Revolución rusa a un importante ramillete de pensadores y de activistas que tuvieran algo que decir sobre la experiencia del comunismo y sus perspectivas actuales. Puede afirmarse que lo consiguieron en gran parte : allí estaban muchos de los que tenían que estar. No todos. El acontecimiento constaba de dos formaciones, talleres y conferencias y de cuatro grandes ejes temáticos : quiénes son los comunistas, poderes comunistas, crítica de la economía política y comunismo de lo sensible. El formato de los talleres debía haber permitido algo de debate, aunque este se redujo a algún brevísimo intercambio ; el de las conferencias, por su lado, hacía imposible todo debate, pues las intervenciones, numerosas e interesantes, ocupaban todo el tiempo sin dejar lugar a la más mínima discusión ni siquiera entre oradores.

Se expresaron en la conferencia distintas perspectivas, desde las más desencantadas o nostálgicas, como la de Mario Tronti y otros exponentes de la experiencia comunista mayoritaria dominada por la autonomía de lo político, hasta las de los irreductibles de la autonomía como Toni Negri, Oreste Scalzone o Paolo Virno que introdujeron ciertas notas de optimismo en oposición a un clima marcado por la toma de posesión de Donald Trump y otros triunfos de las fuerzas oscuras. El previsible catastrofismo de Bifo también estuvo presente. De particular interés fueron algunas contribuciones procedentes de los márgenes -foucaultianos- del marxismo como la de Laval y la de Dardot (por una vez por separado) que aportaron una perspectiva más microfísica en contraste con las concepciones molares del poder características de muchas corrientes marxistas más ortodoxas. Destaca también por su originalidad la intervención de Morgane Merteuil, una trabajadora del sexo francesa, de inspiración a la vez althusseriana y feminista que incidió en la centralidad de la cuestión femenina en la lucha por el comunismo y en el rechazo de todo feminismo de Estado. En general, las perspectivas centradas en un socialismo de Estado fueron escasas y marginales y lo que dominó fue la crítica del Estado. La defensa de un « socialismo burocrático » que hizo Slavoj Zizek en una intervención por vídeo, la defensa del gobernismo (« hoy todos somos gobernistas ») por parte de Mario Tronti o el toque final del coloquio, la poco realista defensa de la actuación de Podemos y los municipalismos españoles como fuerzas de participación democrática « dentro del Estado y contra él » realizada por Marcelo Expósito, fueron excepciones en un contexto donde la crítica materialista del Estado era un presupuesto compartido. De ahí, que el « populismo », último avatar de la exacerbación de la representación y del estatismo fuera criticado con frecuencia.



Reivindicar hoy el momento Octubre tiene hoy un sentido ambiguo : por un lado hay algo de nostalgia en este ejercicio, voluntad de no renegar de lo que fue la gran victoria del comunismo en el siglo XX, ni de la totalidad de lo que esa victoria supuso en su institucionalización como régimen soviético ; por otro, Octubre, muestra aún hoy la posibilidad de la ruptura con el orden capitalista. La misma ambigüedad esencial afecta al propio significante « comunismo », hoy inseparable de la experiencia de un fracaso colosal, pero a la vez la mejor expresión de un proyecto de lucha por un mundo libre y común a todos. Es fuerte la tentación de desembarazarse de la historia, de liquidar las pesadillas totalitarias asociadas al nombre « comunista », pero con ello existe el riesgo de abandonar el otro aspecto : el proyecto de otra sociedad. Con la historia se juega siempre entre dos abismos, entre la tentación de hacerla buena, de justificarla, incluso en sus horrores, y la de abandonarla privando al hoy de experiencia, de continuidad, incluso de nombre. La crisis del marxismo, tuvo como síntoma, como recordó Zizek en el C17 y ya había sostenido Althusser en 1976, su incapacidad de aplicar una concepción de la historia en términos de lucha de clases a sus propias organizaciones y a los Estados que se dijeron o dicen aún « socialistas ». Existió en el marxismo un punto ciego que determinó esa invisibilidad de los sujetos del proceso a sí mismos. No habrá continuidad del movimiento comunista mientras no se haya generado un análisis materialista riguroso de las realidades políticas -a menudo exacerbaciones de las tendencias liberticidas y absolutistas del Estado capitalista- que revistieron el nombre de « socialismo » o « comunismo ». El saber sobre esa historia es una necesidad estratégica imperativa si se quiere evitar toda una serie de derivas que repiten hoy -a menudo inconsciente e involuntariamente- los pasos de los socialismos estatalistas y los populismos de Estado. Tal es la condición necesaria para superar ese « techo de cristal » de las plazas, del 15M, Occupy o Tahrir, o el enquistamiento institucional de las expresiones representativas de estos movimientos.

Las cuestiones del Estado y del partido siguen siendo centrales. Hay que hacer algo con el Estado, no basta ignorarlo y plantear un simple éxodo, ni afirmar la necesidad de su « destrucción », o de su « toma ». Numerosas intervenciones hicieron bien en recordadr que el comunismo es liberación del Estado, no constitución de un Estado libre, republicano o democrático, sino liquidación de todo Estado. Esto implica la constitución de una subjetividad política autónoma capaz de actuar en y contra el Estado, asumir el problema del gobierno, y la necesidad de favorecer el despliegue de las instituciones del común. Este es un planteamiento transversal a muchas de las intervenciones de los ejes « quiénes son los comunistas » y « poderes comunistas » sobre el que insistió con fuerza Toni Negri. Han perdido pertinencia las viejas oposiciones entre insurreccionalismo y gobernismo, dando razón a Tronti con su « hoy somos todos gobernistas », si bien este « gobernismo » debe poder afirmarse desde una crítica democrática de la autonomía de lo político, ergo del Estado, pensando y practicando la democracia contra el Estado y contra el capital. El Estado, basado, al igual que la familia, en la propiedad como subrayó Michael Hardt en su intervención, debe sufrir la misma suerte que el orden propietario. Los comunes son la negación de todo orden basado en la propiedad, pues esta es la exclusión de las mayorías del acceso a los medios de producción y a la riqueza social, pero también del acceso a la decisión política. Del mismo modo, la familia, pilar del orden reproductivo, se basa como dijo Hardt recordando el feminismo comunista de Alexandra Kollontai, en la propiedad, en una relación propietaria entre los cónyuges que excluye otras relaciones y otros tipos de comercio amoroso. Sobre esta cuestión de la apropiación institucional del cuerpo de la mujer por los aparatos de Estado, y en concreto por el familiar, incidió tmbién Morgane Merteuil, en una reivindicación de un feminismo en ruptura con el capital y con su Estado.

El partido volvió a surgir como cuestión estratégica, particularmente en la intervención de Laval, quien recordó que el Manifiesto del Partido Comunista no dio lugar al nacimiento de ningún partido, al menos en ninguno de los sentidos hoy reconocibles del término. El alemán  Partei  significa aquí, más una « toma de partido » que una organización, pues los comunistas, según el Manifiesto intervienen en todas las organizaciones obreras y democráticas, pero « no son un partido ». Esta idea de un partido-no partido es fundamental para una estrategia comunista que no quiera repetir las catástrofes de impotencia o de terror del pasado y del presente. El partido es una parte del Estado y se configura internamente según los esquemas representativos que configuran al propio Estado como poder separado de la sociedad. Según Laval, la organización comunista debe estar separada del Estado y ello de dos maneras : en primer lugar no debe aceptar la territorialidad de la representación propia de los partidos, pero, sobre todo, debe escapar a toda estructura que lo configure como vanguardia organizada y representativa del proletariado. Laval y otros propusieran reinventar una coordinación no representativa, no estatal y flexible cuyo modelo histórico podría ser la Primera Internacional, una organización directamente internacional que admitía adhesiones individuales directas sin mediación de ningún partido.


Otro tema fundamental fue precisamente el de la sociedad comunista. Fueron varios los oradores que abordaron este tema desafiando la prohibición que Marx se había autoimpuesto de hablar de las « cocinas del futuro ». Étienne Balibar destacó la necesidad de una organización política mundial capaz de hacer frente a los grandes desafíos del planeta, una organización política, por lo tanto, más allá del Estado, pero que debería conservar funciones coactivas en defensa de lo común. Por su parte, Jacques Rancière realizó una estimulante defensa del comunismo de lo sensible, reivindicando el comunismo como « forma de vida » en la que la diferencia entre medios y fines se eclipsa en una práctica libre. Esta práctica la define Rancière como una « crítica artística », recuperando así el término que usan Bolstanski y Chiappello en El nuevo espíritu del capitalismo para criticar las el esteticismo de mayo del 68. La crítica artista, para Rancière, es un modo de vida opuesto al actual, un modo de vida subversivo del actual que no espera a ninguna « revolución » para liberarse, esto es para vivir ya libremente. La forma de vid artùistica no es individualista sino directamente política y realiza ya un mundo sin Estado y sin explotación un despliegue de las singularidades sobre el fondo de los comunes. Todos estos valiosos elementos estuvieron presentes en Roma. Faltó, sin embargo, una perspectiva estratégica. A su definición no ayudó el formato « académico » del acto, en el cual se sucedían las intervenciones sin interacción real entre ellas. Faltó debate, fricción intelectual de la multitud, producción de nociones comunes. Queda pendiente la tarea de escribir el nuevo Manifiesto, pero esa tarea deberá realizarse en otro formato y surgir del rizoma de una nueva organización de la multitud que hoy es más urgente que nunca.